Il y a des années, j’ai fréquenté quelques potiers aux fours enfumés dans des villages cernés par la forêt. Ils m’ont passés leurs gants chauds pour tenir la barre de leur feu. J’ai observé leurs cheminées, j’ai poussé leurs brouettes et écouté leurs histoires torrides entre un tas de briques et du bois qui craque.
Ces lieux, les potiers et les fours que j’ai rencontré m’ont poussé dans une impasse de laquelle je ne veux pas m’échapper.
Alors, moi aussi, j’ai empilé des briques au fond de mon jardin pour construire un four couché que je rempli de pots, de feu et de braise. C’est le mode de cuisson que j’ai choisi pour transformer les pièces qui sortent de l’atelier. Je mets le feu à mes pots pour essayer de les rendre beaux. J’aime les placer un par un et touche à touche jusque sous la voûte en imaginant le chemin de la flamme qui grandie lentement. Elle coule comme une rivière, se faufile, caresse et contourne tout ce qu’elle rencontre pour en marquer la surface à son passage. Cette flamme part du craquement d’une allumette et au bout de quelques jours, occupe tout l’espace du four, ressort par la cheminée en torche et transporte des nuées de cendres qui volent et se collent sur les pots pour fondre quand ils sont très chauds.
Je fais tout ça pour recommencer encore. Faire des pots pour les couler sous la braise. Faire monter la température la nuit en brûlant des heures de ma vie et des flopées de bois jusqu’au matin.
Quand les tas de bois ont disparus autour du four pour ouvrir la vue sur le jardin et la brouette mal garée, que la température est atteinte dans les moindres recoins et que les cuiseurs fatigués ne parlent plus trop, c’est le moment de faire une dernière charge et de laisser le temps au refroidissement.
Plus tard je découvrirai des pots cuits, ruisselants de cendres et d'émail, des terres brutes aux couleurs chaudes, aux textures minérales. Je retrouve des vases, gonflés du tesson jusqu'à la gorge, des jarres et des plats, de la vaisselle ordinaire pour remuer une salade fraîche ou pour verser le vin du pichet dans les verres des copains. C'est du travail pour faire plaisir.
Justin Dutel
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